OÙ VA LE DROIT D’ASILE?

Le système d’asile (tant en ce qui concerne l’accueil que la procédure d’asile) est soumis à une pression sans précédent. De nombreuses idées et propositions sont formulées pour gérer l’augmentation des demandes d’asile. De plus en plus de propositions sont aussi faites afin de prévenir la migration de davantage de personnes.

Limitation de la migration ?

Est-il légitime de prendre des dispositions visant à limiter, voire empêcher la migration de réfugiés (ayant un besoin de protection) vers l’Europe?

C’est possible, mais seulement si ces mesures sont conformes aux droits fondamentaux, tels qu’ils sont fixés dans les conventions internationales (Convention de Genève, ou Convention européenne des droits de l’homme), la Charte européenne des droits fondamentaux ou les directives européennes. Il faut continuer à garantir le droit d’asile.

Conditions de garantie du droit d’asile

Cela veut notamment dire :

  • que l’on ne peut absolument pas repousser (push-back) des migrants ou des bateaux. Effectivement, il s’agirait d’un renvoi collectif de migrants, sans examen individuel de l’éventualité de leur besoin de protection. Cette position entre radicalement en contradiction avec de nombreux droits fondamentaux;
  • que l’on peut mieux organiser ou renforcer les contrôles aux frontières.
    • Ces contrôles peuvent contribuer à accélérer le renvoi de personnes qui n’ont pas de besoin de protection. Cela peut aller dans le sens d’une diminution de l’afflux de migrants « économiques »;
    • Cependant, dans ce cadre, il reste foncièrement nécessaire que, pour chaque personne qui se présente à la frontière, il soit procédé à un examen individuel de son besoin de protection. Si celui-ci est constaté, la personne doit être autorisée à franchir la frontière. Le renforcement des contrôles aux frontières ne peut avoir pour effet que les réfugiés (ayant un besoin de protection) se voient refuser l’accès à l’Europe;
  • que l’on peut renvoyer des réfugiés dans un pays tiers (un autre pays que celui dont ils ont la nationalité), mais uniquement en respectant des conditions strictes (voir les conditions mentionnées dans les définitions du « pays tiers sûr » ou du « premier pays d’asile » contenues dans la directive Procédure). En règle générale, ces conditions ne sont actuellement pas remplies dans des pays comme la Turquie ou d’autres pays limitrophes de la Syrie. Il est néanmoins possible, à terme, de tendre à une protection ou un retour des réfugiés en Turquie ou dans un autre pays tiers. Toutefois, pour y arriver, beaucoup de choses doivent encore être réalisées afin d’y rehausser le niveau de protection. Une politique en ce sens nécessitera énormément d’investissements, tant au plan financier que politique.

 

Besoin d’une politique européenne

Plus que jamais, une politique européenne est nécessaire.

Quelques principes de base essentiels pour une politique d’asile européenne plus efficace :

  • Comme cela a été établi dans la Charte européenne des droits fondamentaux et les directives européennes, le droit d’asile doit rester la pierre angulaire de la politique. Certaines directives européennes conçoivent un cadre adéquat, reposant sur des standards de haut niveau. Ce cadre constitue la base de la construction d’un système d’asile européen harmonisé.
  • Le sauvetage en Méditerranée doit être maintenu et garanti;
  • Chaque État membre doit prendre toutes ses responsabilités pour développer son système d’asile (tant en matière d’accueil que de procédure) d’une façon résolument conforme aux conditions établies dans les directives européennes. C’est de la sorte qu’un système d’asile européen harmonisé sera réalisé. Il convient d’inciter les États membres à prendre leurs responsabilités, en leur apportant un soutien, mais aussi, si nécessaire, en les sanctionnant;
  • Compte tenu de l’afflux très élevé et de la répartition inégale de la pression sur les États membres, un système de solidarité aussi efficace que possible doit être élaboré. Dans le délai le plus court possible, des « hot spots » doivent être organisés aux frontières extérieures de l’Union, tout comme un système de répartition des réfugiés à travers tous les États membres doit être mis en place. Cela ne sera pas facile, mais c’est indispensable. Ces « hot spots », combinés à un plan de répartition, doivent garantir un enregistrement et un screening adéquats aux frontières extérieures, de même qu’une répartition efficace des demandeurs d’asile dans l’Union. Sans cette solidarité, il est impossible de réaliser un système d’asile européen harmonisé;
  • Parallèlement, il faut continuer d’œuvrer à une politique plus efficace de retour, ainsi que de lutte contre le trafic d’êtres humains et contre les filières. À cet égard également, plus de choses doivent être accomplies. Cependant, nous devons rester conscients de la difficulté constante de développer une politique dont l’impact soit manifeste;
  • Il est temps d’élaborer une politique globale forte. Elle doit viser :
    • au renforcement de la protection dans les régions où séjournent la plupart des réfugiés. Cela doit se faire sous la forme tant d’une hausse substantielle du soutien financier aux organisations (p.ex. l’UNHCR) et aux États dans ces régions que sous la forme d’une extension de la politique de réinstallation;
    • à l’élimination des facteurs qui ont poussé les réfugiés à fuir leur pays. Il n’est pas évident d’engranger des succès sur ce plan, ou de sortir des effets à brève échéance. Mais, à terme, il est absolument nécessaire de s’engager plus significativement dans cette voie. Dans ce cadre, il faut notamment examiner comment un plan général peut être élaboré à l’intention de l’Afrique (une sorte de plan Marshall?). Cette perspective est inévitable, étant donné la situation socioéconomique de la majeure partie des pays de ce continent et des prévisions en matière d’évolution démographique. Si nous ne faisons rien en ce sens, nous devons nous attendre d’ici quelques années (de 5 à 20 ans) à un flux migratoire venu d’Afrique sans commune mesure avec celui déjà considérable que connaît l’Europe actuellement.

Un plan européen

Au printemps et ces dernières semaines, la Commission européenne a conçu un plan (comprenant une note prospective) et des propositions de dispositions.

Il s’agit d’un bon plan, reposant sur une vision solide, nuancée. D’autre part, les dispositions proposées doivent être qualifiées de fortes et adéquates. Il reste à espérer qu’elles soient toutes rapidement approuvées et concrétisées. Néanmoins, il faut constater que nous devons encore faire plus :

  • À court terme, il y a lieu de s’investir davantage afin de renforcer la solidarité (un plan de répartition pour davantage de demandeurs d’asile ?) et inciter les États membres à prendre leurs responsabilités;
  • À long terme, un énorme effort supplémentaire doit être fourni pour intensifier l’approche globale de la problématique. L’urgence est particulièrement aiguë. Le défi est gigantesque. Il n’est plus temps de temporiser. Sans quoi, comme pour la question climatique, nous risquons d’être confrontés à des problèmes qui dépassent de loin ceux que nous connaissons aujourd’hui.
23 Septembre 2015